
Dans le Territoire intérieur du Franc al-ôd, lorsque l’on parvient à la clarté de la Présence pure, un élément subsiste encore : un léger parfum de subjectivité.
Dans la conscience de « Je suis », il reste un « je ».
Ce n’est pas le « je » étroit de la personne, mais une subjectivité fonctionnelle, celle qui rend possible l’expérience des formes.
Sans elle, rien ne serait perçu : ni arbres, ni sons, ni couleurs.
Cette subjectivité ne crée plus de séparation.
Quand je demeure dans la Présence pure, je ne vois plus les formes comme extérieures à moi ; elles apparaissent dans la même clarté que mon propre être.
Elles sont comme des ondulations du même espace, des expressions du même souffle.
Rien de ce qui se manifeste n’est séparé : chaque forme est une vibration du Vivant, et la Présence demeure l’arrière-plan immobile, silencieux.
On peut vérifier cela dans une expérience simple :
une cloche sonne quelque part dans le Territoire.
Si l’on écoute sans importer souvenirs, pensées ou réactions, il devient impossible de distinguer celui qui entend de ce qui est entendu.
Il n’y a que l’expérience elle-même :
une unité, une continuité, une absence de frontière.
Cette Présence est le début de la véritable révélation intérieure.
Car même cette conscience d’« être » n’est qu’un reflet — la première lueur de quelque chose d’encore plus vaste, qui ne se limite pas à un « je ».
Pour que la Présence se révèle totalement, il faut d’abord s’y tenir, comme on tient un sentier de montagne jusqu’à ce qu’il ouvre sur la crête.
Ce n’est pas l’individu qui découvre sa nature véritable :
c’est la conscience elle-même qui se reconnaît.
Le personnage ne peut pas réaliser cela — car il est un objet dans le champ de la conscience.
Seule la Lumière peut reconnaître la Lumière.
Quand cette reconnaissance mûrit, quelque chose bascule.
Dans l’expérience d’être, il y avait encore une localisation : « je perçois à partir d’ici».
Mais lorsque la vraie nature s’ouvre, cette localisation disparaît.
On découvre que l’on n’est plus seulement « ici », mais partout.
Le corps poursuit sa fonction, le mental continue ses mouvements, mais au fond de moi, je sais que je ne suis pas confiné à ce lieu, à cette forme.
C’est une expérience étrange, mais d’une plénitude immense.
Car si nous cherchons désespérément à nous compléter par des objets, c’est parce que nous avons oublié l’océan intérieur dont nous provenons.
Nous tentons de trouver dans ce qui est fragmenté ce qui ne peut exister que dans l’illimité.
Ce que nous cherchons à l’extérieur se trouve déjà au plus profond de nous-mêmes.
Il est essentiel de comprendre que ce n’est pas le chercheur — fait de pensées, de mémoire et de matière subtile — qui peut découvrir la Présence.
Le chercheur n’est pas conscient par lui-même : il est éclairé, animé, traversé.
Il ne peut pas parvenir à ce qui le dépasse, car il est contenu dans ce qu’il cherche.
Seule la Conscience reconnaît la Conscience.
Alors, comment faire ?
Toutes les approches peuvent se résumer à un seul geste intérieur :
demeurer.
Demeurer dans la Présence, demeurer dans l’Ouvert, demeurer dans la saveur de l’illimité.
Au début, c’est une pratique :
on revient encore et encore à la sensation d’infini, à l’espace sans rive, au calme profond qui échappe à toute forme.
On se libère ainsi progressivement des pensées qui maintiennent l’identification au personnage.
Cette simple inclination vers l’illimité suffit à dissiper la vieille habitude de se prendre pour un être séparé.
Il suffit de dégager doucement ce qui obscurcit la Lumière — et elle apparaît d’elle-même.
Elle n’a besoin de personne pour briller.
Le travail consiste donc moins à acquérir qu’à ôter :
ôter les voiles,
ôter les réflexes mentaux,
ôter les imaginaires étroits.
Quand ces voiles se retirent, la Présence pure se montre.
Elle était là depuis toujours, au cœur du Territoire du Franc al-ôd, lumineuse, vaste, intemporelle.
Dès qu’on la reconnaît, le monde entier retrouve sa cohérence :
la vague se sait océan,
la bouteille se sait eau,
et l’être retrouve sa liberté première.
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