Le Territoire de la Conscience

IIl existe un Espace que nul plan ne peut tracer : le Territoire intérieur.
Ce Territoire n’est pas une clairière que l’on découvre par hasard au détour d’un sentier, mais une ouverture silencieuse au cœur de l’être — un espace aussi vaste que la forêt et aussi profond que les eaux immobiles d’un lac à l’aube.
C’est dans cet Espace du Territoire que naît l’Éveil.

Quand on parle d’Éveil, ce n’est pas d’une aventure lointaine qu’il s’agit, mais du geste humble par lequel on revient à cet Espace originel. On croyait être la figure mouvante que le monde reflète — ce « moi » fatigué, inquiet, orgueilleux parfois. Mais l’Éveil révèle que nous sommes plutôt le Territoire lui-même : la Conscience ouverte où apparaissent et disparaissent ces formes passagères.

Cette Conscience n’a pas changé depuis l’enfance. Les saisons se sont empilées dans nos souvenirs, nos pensées ont couru comme des nuées rapides, nos humeurs ont monté et descendu comme les marées ; mais le fond du lac est resté intact.
Cet Espace — le véritable Territoire — n’a jamais bougé.

Le « je » personnel, fait d’attentes, de rôles et de peurs, n’est qu’un abri de fortune dressé sur ce terrain immense.
Mais avant ce « je », il y a un « Je » plus large, plus simple, comme une terre natale silencieuse.
Ce « Je » n’est pas un personnage : c’est la Présence même, le fait de se savoir vivant.

Pour essayer de comprendre la Conscience, il faut revenir à la nature. Car ce qu’est l’Espace du Territoire, la Conscience l’est aussi : un lieu sans murs, ouvert à tout ce qui se présente.
La forêt accueille le vent sans lui demander son nom.
Le lac reflète le ciel sans choisir les nuages.
Le Territoire n’exclut ni l’ombre ni la lumière.
Ainsi fonctionne l’Esprit profond : il reçoit tout sans lutte, sans préférence.

Et pourtant, cet Espace n’est pas une chose parmi les choses. On peut voir l’arbre, mais jamais l’air qui l’enveloppe. On peut percevoir une pensée, mais non ce qui la rend perceptible.
La Conscience est ce qui éclaire, non ce qui est éclairé.
Elle reste non vue, comme le silence demeure derrière chaque son.

Toute notre expérience — la chaleur du soleil sur la peau, un souvenir qui revient, un mot prononcé, une inquiétude qui se dissipe — repose sur cette ouverture intérieure.
Le Territoire est le sol : les traces que nous y voyons ne sont que des passages.

L’Éveil survient lorsque la Conscience cesse de s’attacher à ces traces, lorsque l’Espace se reconnaît lui-même au lieu de se confondre avec ce qui le traverse.
C’est un peu comme lorsque, après avoir longuement observé la surface du lac, on réalise soudain que ce n’est pas le reflet qui importait, mais la profondeur silencieuse en dessous.

Alors, l’Esprit se découvre vaste.
Le Territoire se révèle illimité.
La Présence s’ouvre comme un horizon.

Ce n’est pas un événement spectaculaire : c’est une simplicité nue, presque timide.
Une respiration retrouvée.
Un retour chez soi.

L’Éveil, c’est cela : la reconnaissance que l’Espace du Territoire — vaste, profond, libre — est notre nature véritable, depuis toujours.

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