Dans le silence profond

Dans le silence profond du Franc al-ôd, il existe un moment où la Présence intérieure se révèle d’elle-même. Elle n’a pas besoin d’être appelée ni attirée : elle se montre parce qu’elle est déjà là, depuis toujours, comme une source cachée sous les pierres du mental. Cette Présence est la base même de notre être. Elle se lève avec nous le matin, elle demeure dans le sommeil profond, elle traverse tous les états sans jamais être affectée par leur agitation. Pourtant, dans la vie humaine, d’innombrables obstacles recouvrent cette clarté : émotions lourdes, pensées répétitives, habitudes anciennes, croyances rigides. Purifier ces obstacles ne signifie pas devenir parfait, mais simplement dégager le sentier qui mène au cœur, enlever les voiles qui empêchent la lumière de se montrer. Toutes les traditions sérieuses ne parlent que de cela : éclaircir le mental pour qu’il cesse d’occulter la Présence.

Puis vient un instant — parfois un éclair, parfois un long lever de lumière — où l’on entrevoit ce que nous sommes vraiment. Dès que cela se produit, même brièvement, tout change. Les objets du désir perdent leur fascination, les peurs se relâchent, l’importance que l’on accordait aux identités se dissout. On ne revient plus en arrière : quelque chose a été vu. À partir de là, un détachement naturel s’installe. On continue de vivre dans le monde, mais on n’y adhère plus de la même manière. Le chemin dans le Franc al-ôd se déroule alors en deux grandes phases : d’abord une préparation, où l’on apprend à calmer le mental, à réduire la dispersion, à revenir constamment au centre ; puis un basculement, où la Présence se reconnaît elle-même. À partir de ce basculement, la purification ne dépend plus d’un effort personnel : elle se fait silencieusement, comme un vent chaud qui chasse les derniers nuages. L’éveil est soudain, mais tout ce qui le précède et tout ce qui le suit est graduel.

Après cela, on découvre que l’éveil illumine la conscience, mais ne dissout pas d’un seul coup toutes les traces anciennes du mental. Certains êtres deviennent extrêmement clairs, d’autres gardent encore des ombres : cela ne change rien à la Présence, seulement à la transparence du mental qui la reflète. Il arrive aussi que certains s’arrêtent trop tôt : ils demeurent dans la pure Présence, mais une Présence encore fragile. Des habitudes anciennes peuvent remonter et ramener la conscience vers l’identification, faisant de l’éveil un souvenir. Pourtant, ce souvenir est transformant : une fois que la réalité a été entrevue, on ne peut plus voir le monde comme avant.

Le regard change profondément. Les formes du monde apparaissent comme des vagues, passagères et mouvantes, sans existence autonome. Elles surgissent du Sans-forme et y retournent. On comprend alors qu’il n’y a pas, d’un côté, un observateur, et de l’autre, un monde solide ; il n’y a qu’un seul mouvement, une seule Présence qui prend des formes multiples. Et dans cette compréhension, l’importance des choses s’efface. L’éveil révèle que le monde n’a jamais été séparé de ce qui le perçoit.

Longtemps, on croit que la pratique mène à l’éveil. Mais à la fin, on comprend que la pratique n’avait qu’un but : dissoudre celui qui pratique. Tant qu’un « moi » s’accroche à la pratique, la dualité demeure. L’éveil appartient au non-faire : il survient lorsque cesse la tension intérieure, lorsque tombe l’effort de devenir quelqu’un. Et pour arriver à ce non-faire, il faut d’abord apprendre à défaire, à dénouer les constructions du mental, à retirer progressivement les couches du personnage.

Lorsque l’attention devient stable, quelque chose se transforme encore plus profondément : on ne s’appuie plus seulement sur l’enseignement extérieur, on commence à sentir une guidance intérieure, une intelligence intime, une Présence qui devient le véritable guide. C’est cela, l’abandon : laisser la Vie elle-même conduire, faire confiance à ce qui sait déjà, en soi, avant toute pensée.

Ce chemin n’est pas pour ceux qui cherchent encore à se remplir du monde ; il s’adresse à ceux que la vie personnelle a lassés, non par fatigue, mais par lucidité. À ceux qui ont compris que rien de ce qui est extérieur ne pourra offrir une paix durable, que tout est impermanent, que tout se sépare. Cette maturité ouvre la porte du Franc al-ôd intérieur. Là, on découvre que ce que l’on cherchait depuis toujours n’est pas ailleurs : le bonheur, la paix, la plénitude sont déjà notre nature. Nous les cherchions à l’extérieur parce que nous nous étions éloignés de nous-mêmes. Le chemin consiste simplement à revenir.

L’éveil n’est pas un accomplissement : il est un défaire, un laisser tomber, un cesser de devenir. Il révèle que nous sommes déjà ce que nous cherchions. Et le Franc al-ôd devient alors le miroir silencieux de cette évidence : un espace affranchi, vivant, lumineux, où la Présence se reconnaît enfin comme ce qu’elle a toujours été.

Commentaires

Laisser un commentaire