
On dit qu’il ne faut pas manquer le bon sentier qui mène à la clairière. Ce n’est pas une mise en garde, mais une façon bienveillante de rappeler que tout commence par un simple éclaircissement intérieur, un endroit où la lumière circule mieux. La pratique n’est pas un accomplissement : elle est ce premier dégagement du terrain, ce calme soudain qui permet au mental de s’apaiser, comme lorsque le vent dissipe la brume juste assez pour révéler le cœur du paysage.
Ce premier sentier n’est pas l’Éveil. Il est seulement ce consentement intime, ce léger infléchissement par lequel on se rend disponible. Car l’Éveil ne naît pas de l’effort : il se manifeste par Grâce. Et lorsque cela arrive, on sait aussitôt que rien de personnel n’en est l’auteur. Ce n’est pas l’individu qui s’éveille, mais la Conscience qui se reconnaît elle-même.
Il arrive parfois qu’une ouverture fulgurante survienne sans préparation, comme une clairière qui se dévoile après un orage. Mais ensuite, voulant retrouver cette lumière offerte gratuitement, le « moi » se met à pratiquer fiévreusement, comme si le bonheur était un objet perdu que l’on pourrait rattraper. Plus il cherche, plus cela se referme. Car l’Éveil n’est pas une chose que l’on possède : c’est ce que l’on est.
Tant qu’il y a en nous un praticien, un effort, une tension, la séparation demeure. C’est lorsque la pratique devient naturelle, presque organique, comme ces pas que fait la forêt quand elle respire, que celui qui pratiquait disparaît. Alors seulement, le bon sentier apparaît, comme si la clairière avait toujours été là, mais qu’on n’avait pas encore regardé dans la bonne direction.
Après une première illumination, il arrive que tout s’approfondisse de lui-même. Le paysage intérieur se simplifie, se dépouille, comme si un feu invisible continuait de brûler les broussailles anciennes. Le Territoire affranchi agit ainsi : sans violence, sans urgence, mais avec une précision tranquille.
Dans cet espace, il n’y a que la Conscience. Et lorsque je n’arrive pas à la rejoindre directement, elle prend une autre forme pour m’appeler : un ami, un guide, un visage, parfois même un silence. Ce que certains nomment maître n’est jamais autre que cette Présence qui prend une forme humaine pour éclairer ce qui, en moi, hésite encore à se reconnaître.
Un guide véritable n’avance ni devant ni derrière. Il est là comme une ancienne mémoire de moi-même. Il connaît les marécages où l’on s’enlise, les faux chemins qui ne mènent nulle part, les illusions si faciles à suivre. Sa parole n’impose rien : elle dégage.
Et puis un jour survient un choc silencieux : dans le guide, je me reconnais. Non pas comme deux êtres se rencontrent, mais comme une eau se retrouve dans une eau. La plus grande intimité n’est pas humaine : elle est ce moment où la Conscience se voit elle-même.
Toute relation maître-disciple authentique n’a qu’un seul but : aider l’être à trouver, en lui-même, le bon sentier qui mène à la clairière. Pas une clairière extérieure : la clairière de l’Être, où il ne reste rien à chercher.
Dans le Territoire affranchi, cette clairière n’est jamais ailleurs. Elle est là dès que l’on cesse d’avancer à contre-courant de soi-même.
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