Le territoire qui marche

Je suis entré dans le territoire affranchi comme on entre dans une forêt ancienne,
sans titre, sans intention autre que d’être présent.
Je n’y cherchais ni refuge ni doctrine,
mais un lieu assez vaste pour que l’esprit cesse de se contracter.

Ici, les montagnes ne sont pas immobiles.
Elles avancent lentement,
non pas sur le sol,
mais dans la durée.
Elles marchent à la vitesse du silence
et à la cadence de la patience.
Celui qui sait attendre les voit passer.

Les rivières, quant à elles, parlent sans discours.
Elles ne racontent rien,
elles montrent.
Elles montent parfois autant qu’elles descendent,
car leur cours n’obéit pas aux cartes,
mais à la gravité du cœur.

Dans le Franc al-ôd,
les arbres ne sont pas des objets dressés dans le paysage.
Ils sont des présences verticales,
des témoins enracinés de ce qui dure plus longtemps que nos pensées.
Leur écorce enseigne sans phrase,
leurs racines méditent plus profondément que nous.

Quand je marche dans cette forêt,
je comprends peu à peu
que je ne la traverse pas.
C’est elle qui me traverse,
qui m’ôte mes contours inutiles,
qui me rend à une forme plus simple de présence.

Le vent dans les pins
n’est pas un bruit extérieur.
Il est la respiration même de l’espace.
Lorsqu’on l’écoute sans le nommer,
il n’y a plus d’auditeur
ni de chose entendue :
seulement une résonance claire
dans un esprit devenu assez vaste.

Les anciens qui ont choisi la forêt
ne s’en sont pas éloignés par refus du monde.
Ils s’y sont tenus
par fidélité à ce qui ne demande aucun ajout.
Là où rien n’est à corriger,
l’homme cesse enfin de se corriger lui-même.

Dans la profondeur du territoire affranchi,
les distinctions se relâchent.
L’observateur se dissout dans l’observation,
et la frontière entre l’être et le lieu
devient aussi fine qu’une brume du matin.

Tout ici est déjà assis :
la pierre,
l’oiseau immobile sur la branche,
le nuage qui passe sans destination.
Rien n’imite la posture juste,
car rien ne s’en est jamais levé.

On ne comprend pas ce territoire par l’étude seule.
Il se révèle à la marche lente,
au pas qui accepte de ne pas arriver,
au regard qui renonce à saisir.

Alors il devient clair
que montagnes et forêts
ne sont pas autour de nous.
Elles sont l’ancienne demeure de l’esprit,
celle que nous n’avions jamais quittée,
mais que nous avions oubliée de reconnaître.

Et à vous qui marchez sur ce sentier,
levez parfois les yeux vers le ciel,
non pour y chercher un signe,
mais pour y respirer l’espace
qui vous traverse déjà.

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